« Plus le temps passe, plus on s’aperçoit que le pontificat, de Benoit XVI qui a pu laisser sur le moment un goût de cendres, aura été un grand moment de l’histoire de l’Église. »
Le saint-père a été enterré dans trois cercueils. Le premier en cyprès puis une couche de plomb et un autre cercueil en chêne. Des pièces de monnaie et des médailles frappées durant son règne, ainsi que le rogito, un texte résumant son action de pape, sont déposés auprès de son corps.
« Trop de cuisiniers gâtent la sauce ! »
Selon le Père jésuiteThierry Schelling, cet adage rappelle « qu’à élever aux autels ses dirigeants successifs des deux derniers siècles, l’Église de Rome risque de renforcer l’idée qu’un pape est quasi assuré d’être un saint de par l’exercice de son office et qu’il saura toujours conduire l’Église en « saint homme », déjà sur terre. »
De là, à légitimer une hérésie – à savoir que le pape a toujours raison dans tout ce qu’il dit et fait, et qu’il est nécessaire pour le salut du monde - il n’y a qu’un pas qui fut franchi par les médiévaux Dictatus Papae ( décrets ou affirmations du pape) d’ailleurs révoqués depuis !
Toujours selon le Père Schelling, c’est plutôt la marque d’un manque de confiance de l’Église dans son rapport avec le monde ambiant qui interroge. Paul VI, par exemple, voulait dialoguer à tout prix sous toutes les formes, avec ses contemporains, rappelant que l’Église est d’abord au service de la sanctification du monde. Or, par ces béatifications à la chaîne, l’Église fait preuve d’un nombrilisme dérangeant.
Et Thierry Schelling de poser la question : n’est-ce peut-être pas un dernier relent de l’héritage de l’Empire romain quand il déifiait quasi automatiquement ses empereurs décédés quand ce n’était pas de leur vivant ?
Alors, « Santo subito » écrit encore le Père Thierry Schelling ajoutant la réserve « ma non troppo ». Traduction : Saint immédiatement … mais pas trop vite.
En quelque sorte, une façon très jésuite de se hâter lentement.
L’ORDRE DES CHOSES
Remontée dans le temps :
En 2009, après l’avoir déclaré « vénérable », Benoît XVI décida de béatifier Jean Paul II sur la foi de la vox populi, la foule scandant, le jour de ses obsèques sur la place Saint-Pierre, le fameux « Santo subito ».
Ayant raccourci le temps d’attente usuel, 5 ans entre la mort du concerné et l’ouverture des enquêtes préliminaires, depuis la promulgation d’une bulle pontificale, en 1983. le souverain pontife du moment semble avoir manifestement tenu compte de cette vox populi.
Pourquoi pas sinon qu’il fallait, à terme, respecter la nécessaire reconnaissance d’un miracle pour élever Karol Wojtyla au rang des bienheureux.
Respectant l’ordre des choses, ce dernier sera donc béatifié – étape indispensable avant la canonisation – le 1er mai 2011. Et cela, après la reconnaissance d’un premier miracle, en l’occurrence la guérison complète, dans la nuit du 2 au 3 juin 2011, de Sœur Marie Simon Pierre, atteinte de la maladie de Parkinson qui aurait ressenti la forte présence du défunt pape alors qu’elle priait.
Dans un deuxième temps, la guérison inexplicable d’une femme, le soir même de la béatification de Karol Wojtyla, sera reconnue par la Congrégation pour la cause des Saints comme le second miracle indispensable à la canonisation.
Jean-Paul II et Jean XXIII seront ensemble et officiellement canonisés par le pape François et l'ancien souverain pontif, le pape émérite Benoît XVI.
Un événement historique et mémorable à laquelle des centaines de milliers de pèlerins assistèrent.
ŒUVRE CONCERTÉE
Pour le Père Thierry Schelling, l’ambiguïté du processus canonique était justifié par un certain nombre d’écrits et de communications de Saint Jean Paul II qui auraient été rédigés sinon influencés par Joseph Ratzinger reconnu comme un théologien d’exception.
Une spécificité intellectuelle qui, à priori, ne retire en rien à l’aura sinon au caractère de sainteté reconnue de Saint Jean Paul II au vu d’autres événements autrement remarquables dont les guérisons.
Avec Saint Jean-Paul II : relation intellectuelle et confiance.
A présent, la relation intellectuelle et la confiance entre les deux hommes apparait aussi comme un élément majeur dans la conduite de l’Église et ne constituent pas forcément – comme pourraient le laisser croire certains exégètes – une ambiguïté affectant le bagage théologique et partant la règle au seul prétexte que Benoît XVI béatifiait un « confrère » qu’il aurait assisté dans ses écrits.
En quelque sorte, une œuvre concertée qui rend la démarche autrement plus noble et certainement pas contestable.
Monseigneur Georg Gänswein aux côtés de Benoit XVI jusqu'à son ultime souffle.
Particulièrement stigmatisé, le document controversé du pape François limitant la célébration de la messe avec le missel antérieur à Vatican II. Sur ce point et à la question de savoir si la levée par Benoît XVI des restrictions à la célébration de la forme extraordinaire du rite romain selon le Missel de 1962 n’a pas duré comme il l’avait prévu et de la même façon alors que ce même Benoît XVI a suivi la promulgation du Motu Proprio Traditionis Custodes du pape François, il était instructif de connaître le sentiment de l’archevêque Georg Gänswein – secrétaire particulier de Benoît XVI et la personne la plus proche du pape émérite - qui publiera bientôt ses mémoires :
« Cela l’a beaucoup affecté. Je pense que le pape Benoît a eu le cœur brisé lorsqu’il a lu le nouveau Motu Proprio, car son intention était que ceux qui avaient simplement trouvé un refuge dans l’ancienne messe éprouvent une paix intérieure, une paix liturgique, et de les éloigner de Mgr Lefebvre. Et si vous pensez au nombre de siècles pendant lesquels l’ancienne messe a été une source de vitalité et de nourriture spirituelle pour de nombreuses personnes, y compris de nombreux saints, il est impossible d’imaginer qu’elle n’ait plus rien à offrir. Et n’oublions pas que de nombreux jeunes, qui sont nés après Vatican II et qui ne comprennent pas pleinement tout le drame du Concile, même s’ils connaissent la nouvelle messe, trouvent toujours un foyer et un trésor spirituels même dans l’ancienne messe. Enlever ce trésor aux fidèles… Eh bien, je ne peux pas dire que je suis à l’aise avec cela. »
Confidence pour confidence : Benoit XVI a eu le coeur brisé ...
Les crises et les souffrances qui découlent de certaines situations et décisions sont souvent inévitables. Elles ne sont pas forcément négatives dans le cadre du strict magistère de l’Église et de l’enseignement qui en dépend.
La confiance affichée entre les deux papes mais aussi leur indépendance quant à leurs méthodes et in fine leurs décisions, ont toujours été essentielles dans leur relation.
SAINTETÉ RELATIVE
Au vu de ces considérations, le Père Thierry Schelling analyse, pour sa part et sans concession, la papauté au travers des siècles. C’est une autre démarche.
Et de citer, au regard d’un comportement plus rigoriste, l’exemple d’un moine bénédictin toscan qui devint, en 1073, le 157ᵉ évêque de Rome et pape sous le nom de Grégoire VII, succédant à Alexandre II.
Ce pontife affirmant dans les Dictatus Papae - recueil de vingt-sept propositions conservé dans les Archives du Vatican. Parmi ces documents précisément relatifs au pontificat de Grégoire VII, deux lettres signées de ce pape, l'une et l'autre datées de mars 1075 et similaires à des décrets juridiques stipulent sans ambages.:
« l’Église romaine ne s’est jamais trompée et elle ne se trompera jamais ! »
Qui a parlé d’infaillibilité ?
Une affirmation à prendre cependant avec d’infinies précautions. En latin : « cum grano salis » est une expression signifiant qu'une remarque ou un propos, ne doivent pas être compris littéralement mais avec une certaine distanciation.
Tout comme et autrement plus graves les situations conflictuelles opposant les communautés musulmanes et chrétiennes.
Pie V fut « porté aux autels » parce que vainqueur de la bataille de Lépante qui se déroula le 7 octobre 1571 dans le golfe de Patras, sur la côte occidentale de la Grèce, à proximité de Naupacte alors appelée « Lépante ». Une bataille navale de la quatrième guerre vénéto-ottomane, où s'affrontèrent la flotte ottomane de Sélim II et la flotte de la Sainte-Ligue.
En pareil contexte, Pie V aurait-il été l’intercesseur idéal pour engager un dialogue interreligieux ?
Pas certain.
Toujours étant, et selon le Père Thierry Schelling, Pie IX et son Syllabus, ou Pie X et sa condamnation du modernisme, passeront toutefois à la postérité en qualité de papes réactionnaires se positionnant clairement à l’opposé des principes édictés par la doctrine.
Et le Père jésuite d’en conclure :
« Bien relative sainteté, en somme ! »
Certes, mais après tout pourquoi pas ?
DE BEATIFIER A CANONISER
Dans le lexique liturgique, « béatifier » et « canoniser » signifient, pour le premier, déclarer par décret pontifical qu’une personne de foi chrétienne a pratiqué les vertus naturelles et chrétiennes de façon exemplaire ou même héroïque (les martyrs, en particulier) et qu’à ce titre elle mérite un culte local. Dans l’autre cas, un bienheureux, placé au rang des saints, mérite quant à lui un culte rendu par toute l’Église.
Pour les premiers, un miracle – le plus souvent une guérison - est nécessaire. C’est un préliminaire à la canonisation. Pour les seconds, outre un miracle également requis, s’y ajoute un « rayonnement » utile à l’Église Universelle.
Les saints apparaissant de ce fait incontournable comme des exemples pour les priants catholiques.
A présent, si le Vatican béatifie ou canonise un homme plutôt que sa « politique », l’ambiguïté, au regard du monde moderne, demeure. Pour les papes plus encore. Ce qu’il font, ne font pas ou n’ont pas fait étant systématiquement et médiatiquement regardé et critiqué à la loupe via une modernité touchant directement l’information visuelle laquelle relégue au second plan la teneur des encycliques qu’il convient de lire.
On peut le regretter mais la religion n’échappe pas à la modernité … jusqu’à s’en servir. Pour le meilleur et parfois aussi pour le pire. Les tempêtes en tous genres qui secouent les religions et singulièrement la religion catholique en témoignent. Parfois douloureusement.
Finalement, dans l’analyse de Vatican II, que l’on opte pour la continuité ou pour la rupture, que l’on cède au retour des ors et du latin ou que l’on milite pour l’accés des femmes au sacerdoce ordonné ; ou bien encore que l’on déclare l’œcuménisme hérétique sinon irréversible et impératif , quatre-vingt ans plus tard , qu’on le veuille ou non, l’Église a évolué.
En somme, « le grand écart » entre le Syllabus ( propositions émanant de l’autorité ecclésiastique) et l’ Ecclesiam suam ( encyclique du pape Saint Paul VI, en 1964, sur l’ecclésiologie et les réflexions entreprises sur la nature et la mission de l’Église lors du concile Vatican II), est avéré sous l’impulsion (ou le frein) des papes successifs.
En paroles autant qu’en actes !
Alors, qui, à terme, a raison : Pie IX ou surtout Benoît XVI, dont la brillance intellectuelle, la spiritualité mais aussi la bonté et la douceur, pourraient rappeler celles de Saint Paul VI ?
De toute évidence, des êtres d’exception :
Qu’il s’agisse du charisme mystique de Pie XII, de la légendaire bonhomie de Jean XXIII ou encore de la culture de Saint Paul VI, mais aussi du sourire naturel de Jean Paul Ier ou de la « présence planétaire » de Jean Paul II, un panel de personnalités ( en son expression didactique combinant émotions, attitudes et comportements) que l’on pourrait aujourd’hui et au plan du ressenti compléter par l’humilité d’un Benoit XVI et le charisme d’un François. Tous ayant manifestement contribué à la popularité de la fonction papale. En bien ou en mal. Cela est une autre affaire.
Côté positif, souvenons-nous.
C’était le 12 septembre 2008, au Collège des Bernardins, ancien collège cistercien de l’historique Université de Paris, devant un parterre d’intellectuels et de personnalité. Benoit XVI terminait un remarquable exposé qui lui valut plus de dix minutes d’applaudissements.
FOI ET RAISON
Dans son intervention, le souverain pontife - qui n’était alors que le cardinal Joseph Ratzinger, après avoir été élu le 13 janvier 1992 membre associé étranger pour son travail de théologien à l’Académie des sciences morales et politiques et qui occupa, après la disparition du Prix Nobel de la Paix en 1975, le fauteuil d’Andrei Sakharov – développa sa vision existentielle sur le thème de la foi et de la raison. Extraits :
|